Je me suis immédiatement sentie fascinée par les sculptures aux couleurs pop, représentant des jeux sportifs populaires tout en gardant la beauté intemporelle de la Vénus de Milo. J’ai aimé voir d’autres œuvres de l’artiste qui reflétaient son jeu habile et souvent poétique avec les ready-made, en modifiant leur contexte et leur usage. Naturellement, je voulais en savoir plus sur l’artiste et j’espère que vous apprécierez son travail autant que moi.
– Quand et pourquoi avez-vous décidé de devenir artiste ? Si vous imaginiez faire autre chose, quel métier choisiriez-vous ?
– J’ai toujours été fasciné, et cela depuis tout petit, par les mises en couleurs et l’exercice des formes. Ainsi, je me suis naturellement tourné vers un cursus artistique en école d’art.
Contrairement à une profession, un engagement politique ou une destination, je ne pense pas qu’on choisisse d’entamer une carrière artistique. L’art ne se détermine pas par un choix et je l’ai toujours considéré comme un état. L’art est comme inscrit dans ma personne, c’est un état permanent, une manière d’être, considérée dans ce qu’elle a de durable.
Je dois avouer que je n’ai jamais imaginé faire autre chose qui ne soit le fruit d’un travail de mes propres mains.
– Quels artistes ou mouvements artistiques vous ont influencé ?
– Mes sculptures s’inscrivent dans une pratique de l’assemblage, initiée par les Nouveaux Réalistes. C’est une démarche artistique «qui ne boude pas son plaisir» et qui assume pleinement son côté esthétisant, notamment parce qu’elle ne se limite pas à cela.
Je fais partie d’une génération d’artistes ayant débuté dans les années 90 qui ne croient plus au radicalisme artistique des années 60 et qui ne sont plus convaincus de pouvoir engendrer d’importants changements sociaux uniquement par leur art. C’est donc avec une certaine nuance d’ironie et (en apparence) sans idéologie, que je revêts un intérêt évident pour les interactions sociales dans presque toutes mes œuvres. Certaines peuvent d’ailleurs prêter à une interprétation politique.
– Pourquoi avez-vous choisi le sport comme thème principal de votre travail ? Quels sont vos médiums préférés ?
– Je m’intéresse au sport parce que les gens s’intéressent au sport !
Les objets que j’ai choisi de manipuler dans mes premières sculptures étaient des articles de sport, bien connus de tous et offrant une connivence indéniable avec le public. Quel meilleur point de départ pour créer de nouvelles situations d’échange avec le spectateur, si ce n’est le sport ? Ces moments de distraction et de jeu introduisent, entre les murs du white cube, des règles qui, bien qu’elles soient connues de tous, restent très éloignées de celles des modalités de l’exposition.
D’une façon générale, mes œuvres touchent principalement à des activités de masse et de divertissement issus de la culture populaire (le jeu, le sport, le bricolage, etc), le tout dans une logique de détournement.
D’abord peintre, je suis ensuite devenu sculpteur pour éviter les problématiques inhérentes au média. Je m’intéresse à la formation d’un nouveau vocabulaire formel, quelque part entre peinture et sculpture, née d’associations entre formes, matériaux et idées.
– Quelles techniques utilisez-vous lors de la création de vos œuvres et quel rôle joue l’interaction dans vos créations ?
– À partir de certains objets de prédilection, j’ai réussi à développer, tout au long de ces années de création, un véritable langage plastique, un vocabulaire de formes et de matériaux dont certains éléments jalonnent l’ensemble de mon œuvre de façon récurrente. Ces éléments, ce sont notamment des objets usuels que j’assemble ou que je ré-interprète. Contrairement à une œuvre originale, la forme familière de l’objet du quotidien fait gagner au spectateur le temps de déchiffrer ce qu’il perçoit. Lorsqu’on transforme une caractéristique d’un objet comme son poids, sa taille ou sa couleur, on obtient un objet insolite, projetant le spectateur dans une situation surréaliste. Cette sorte de collision visuelle et sémantique perturbe le spectateur et le projette dans une nouvelle typologie. Je cherche à provoquer chez le spectateur un impact visuel fort que j’alimente en ayant recours à des associations d’idées contrastées et des matières antinomiques soulignées par une charte de couleurs primaire, propre aux entreprises de la grande distribution.
J’ai inscrit ma pratique dans un registre de références populaires, qui instaure une certaine complicité entre l’œuvre et le public, en m’appuyant sur l’idée d’une sensibilité collective et considérant «l’art comme un état de rencontre». Mon intention est de réaliser des œuvres comme terrain d’échange autant physique qu’intellectuel.
Par exemple, dans la série des œuvres liées au sport, je récupère des constituants de jeux déjà existants, comme les tables de ping-pong ou les ballons de football, dont je détourne les codes. Le spectateur se voit proposer des jeux, a priori bien définis qui, à un moment donné, s’éloignent de leurs buts, transgressent leurs règles et proposent une autre réflexion sur les notions d’échec et de réussite, de compétitivité et de concurrence, de divertissement ou de travail.
– Quelles sont vos œuvres préférées jusqu’à aujourd’hui et comment le public les a-t-elles reçues ?
– Depuis quelques années, un nouveau souffle poétique alimente mon travail. Je pense à l’installation Oxymore qui en est un très bon exemple car elle constitue une nouvelle étape dans ce processus de rapprochement de l’œuvre et du langage.
Après avoir fait pleurer des arbres, des oiseaux ou encore des statues antiques, je me suis mu en alchimiste, transformant la substance et la valeur d’un ensemble d’objets amassés comme un trésor. Moulages de statues antiques, parpaings d’un doré étincelant ou encore blocs de cristal de taille démesurée, tous ces éléments jouent de leur forme, leur symbolique et leur matériau pour énoncer un état et le contredire simultanément.
En effet, “Oxymore” traduit un monde factice ; un monde où les théâtres sont en carton-pâte où les marbres sont devenus plâtres, les pierres précieuses du plastique, les moulures des parpaings et les pommes d’or du jardin des Hespérides des plantes vertes de chez Jardiland… Une sorte de tragédie grecque où la dramaturgie sonne faux… Une nouvelle forme beauté contemporaine, qu’il ne faut pas déplorer mais plutôt apprendre à regarder. Mon intention, à travers cette installation, est de matérialiser, par l’accumulation de plusieurs sculptures, des évocations poétiques. J’utilise des images symboliques ou allégoriques comme l’ivoire, l’or, ou la statuaire antique et leur invente une histoire. Je joue sur des idées, sur des représentations. Je m’approprie des procédés littéraires, commel’oxymore, l’ellipse, la métaphoreet crée des images ambivalentesaussi bien mentales que visuelles. Ainsi le récit s’impose sur l’image et je laisse, aux spectateurs, le soin de le compléter ou de créer d’autres fils narratifs.
Ensemble de 6 sculptures qui revisitent la Vénus de Milo et qui s’illustrent dans divers disciplines sportives :
Tennis, Surf, Basketball, Para-tir à l’arc, Boxe et Javelot.
Résine acrylique, peinture acrylique, accessoires divers.
Vues de l’exposition sur l’emmarchement des colonnades du Palais Bourbon dans le cadre des J.O. Paris 2024.
Projet labellisé Olympiade Culturelle
par le Comité d’Organisation des Jeux Olympiques Paris 2024.
©Alex Penfornis et ©Assemblée nationale
– Parlez de votre dernier travail pour les Jeux olympiques : l’inspiration, le processus, les défis et, plus important encore, le message.
– Le thème du mythe est largement présent dans certaines de mes expositions. Jeconçois l’exposition comme un conte initiatique où le héros (le spectateur), part à la rencontre de personnages charismatiques. L’ensemble de ce cheminement m’amène maintenant à axer mon travail sur la statuaire antique et les avatars qu’elle a produit tout au long de l’Histoire de l’art. Encore aujourd’hui, de nombreuses œuvres artistiques s’inspirent de cela. Ce qui motive mes nouvelles recherches plastiques, ce n’est pas une sculpture en particulier mais c’est plutôt l’archétype de la statue antique. C’est cette dernière qui m’intéresse et que je souhaite employer, comme matériau, dans un véritable travail de sculpture.
L’histoire du monde est inscrite dans le marbre des statues, et Paris, la ville musée par ses nombreux témoignages artistiques, reflète cet héritage. Cette année, dans le cadre des Jeux Olympiques, Paris devient la capitale mondiale du sport.
Pour répondre à la proposition de l’Assemblée nationale d’exposer une œuvre durant les JO, j’ai donc eu l’idée d’associer sculptures antiques et sport pour créer La Beauté et le Geste.
La Vénus de Milo, œuvre antique, conservée au musée du Louvre est l’une des 5 statues les plus connues dans le monde. Et c’est assez intuitivement que j’ai choisi de la réinterpréter dans ce projet pour l’Assemblée nationale. Lors de sa découverte, sur l’île de Milos en Grèce en 1821, la statue dépourvue de ses bras a suscité beaucoup d’hypothèses quant à sa posture originale : tenait-elle la pomme de Pâris ? S’appuyait-elle sur l’épaule de Mars? Se mirait-elle dans un bouclier ?
Pour nourrir cet imaginaire, j’ai projeté la Vénus de Milo dans le monde contemporain, et je l’invite à participer aux Jeux Olympiques Paris 2024. Ainsi, 2000 ans après Ovide, la célèbre statue recouvre ses bras et s’illustre aujourd’hui dans diverses disciplines sportives : tennis, surf, basketball, tir à l’arc, boxe et javelot.
Comme les anneaux olympiques symbolisant les cinq continents, les Vénus arborent plusieurs couleurs du prisme chromatique. Elles évoquent ainsi les couleurs de l’arc-en-ciel, et sans être directement associée au mouvement LGBTQIA+ (les couleurs sont ici dans le désordre), cette œuvre souhaite être perçue comme un rappel fort à l’égalité des droits, à la lutte contre la haine et la discrimination.
Les postures des Vénus incarnent des sports emblématiques des Jeux Olympiques mais aussi Paralympiques. C’est pour cela que j’ai dotéla Vénus en posture d’archer d’un bras unique, volonté manifeste de représenter le paralympisme. Pour pousser plus loin l’idée de l’égalité, l’image féminine qu’incarne par excellence la Vénus de Milo, vient bousculer l’imaginaire collectif qui associe encore trop souvent le sport à la masculinité. La Vénus de Milo est une représentation d’Aphrodite, déesse de la beauté. Dans cette nouvelle configuration, dotées attributs sportifs, ces six Vénus deviennent une ode au beau geste : celui de la sportive qui, dans un ultime effort pour atteindre l’exploit, semble être “touchée par la grâce des Dieux”.
Bref, “la Beauté et le Geste” reflète l’inclusivité, valeurs fortes portées par l’Olympisme.
Structure métalique, sandows, javelots, dimensions variables
Vues de l’exposition Tout l’Univers, Centre d’Art Contemporain d’Istres
– Quels sont les projets de rêve que vous n’avez pas encore réalisés ?
– Dans ma démarche artistique, une idée en amène une autre, puis une autre s’ensuit, et de cette logique incessante émane des formes. Plutôt que de réaliser un projet en particulier, j’ai surtout envie de garder cette dynamique: créer des émotions en modelant et en affichant de la couleur.
– Quelle est votre devise artistique ?
– L’art ne se cache pas, il est partout. Il suffit tout simplement d’ouvrir les yeux.